Vasarely, l’art des Glorieuses
C’est toute la France des Trente Glorieuses qui s’expose en ce moment au centre Pompidou avec l’événement “Vasarely, le partage des formes” (jusqu’au 6 mai 2019) : son désir de rupture et d’innovation, sa recherche d’une harmonie avec l’univers, sa valorisation du monde séculier de l’entreprise.
J’ai toujours vu une reproduction de Vasarely sur les murs de carrelage blanc de la salle de bains de mes grands-parents. Tous, nous avons côtoyé les œuvres et le style de Vasarely : il a créé les logos de la FNAC et de Renault, les couvertures de la collection Tel Gallimard, la fresque du hall de la gare Montparnasse, la bande originale de la France des Trente Glorieuses. Ses œuvres, et plus encore son parcours, sont iconiques des années 70, de David Bowie, de Georges Pompidou, de Jean-Paul Sartre et des radios libres. Son langage visuel, composé de six formes simples aux couleurs vives, devient celui de la France d’après mai 68, jeune, curieuse, critique, qui vit au rythme du reggae et de la conquête spatiale. La vision de l’entreprise change : elle devient un lieu de socialisation et d’émancipation, de réalisation de soi qui n’est plus incompatible avec l’art et la modernité.
L’art donne du sens à l’entreprise, l’entreprise ancre l’art dans la modernité
La France des Trente Glorieuses est de plus en plus urbaine, consumériste et productiviste. Les entreprises se créent, se développent, grossissent, s’internationalisent. Mais c’est aussi une époque de bouillonnement intellectuel dans une France de la Guerre Froide passionnée par la conquête spatiale, le progrès scientifiques et les cultures étrangères.
Vasarely adopte des techniques de reproduction à grande échelle, crée des œuvres “à faire soi-même”, s’associe avec de grands noms des médias ou de la variété, collabore avec des entreprises comme Renault ou la FNAC, emprunte les codes de l’industrie et du divertissement.
Il incarne une nouvelle vision de l’art, qui n’est plus seulement l’expression d’une inspiration individuelle de l’artiste, mais devient un art ancré dans la modernité, qui partage les enjeux et les méthodes de son temps.
“La forme efficace issue des panneaux publicitaires est transformée en art” Michel Gauthier
Quelquefois surnommé le “Warhol à la française”, Vasarely questionne le statut de l’art et du spectateur. Il veut en faire un témoin et un acteur de son époque. L’exposition “Le partage des formes” du centre Pompidou met en lumière son parcours, depuis ses premières recherches autour du collage jusqu’aux recherches sur son langage visuel et l’émergence de l’Op Art, ou Art Optique.
C’est un art du mouvement, où les formes semblent sortir de la toile, et danser avec le spectateur. On n’est plus statique face à l’œuvre : on s’avance et on recule, on vérifie que l’illusion est bien réelle, que les volumes apparaissent et disparaissent selon le point de vue.
Le spectateur fait désormais partie de l’œuvre, il la crée, se l’approprie et joue avec. De plus en plus, l’art est désacralisé, il devient temporel et se met au service du spectateur. Il sort du musée et entre dans l’entreprise, où il devient un outil de réalisation de soi, pour donner du sens et de la profondeur à son travail quotidien. Il répond à un besoin d’humanité, qui ressoude le lien au-delà des hiérarchies professionnelles : il valorise les employés, favorise l’innovation, crée un climat d’apprentissage et de curiosité.