Quel mousquetaire êtes-vous ?

Laura Sibony
9 min readNov 28, 2019

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Les vertus cardinales en travail d’équipe

Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan incarnent des vertus opposées mais complémentaires, où la sagesse tempère l’audace, et où la camaraderie complète la ruse. Et vous, plutôt un pour tous, ou plutôt tous pour un ; quel mousquetaire êtes-vous ?

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Un jeune homme de dix-sept ans quitte sa province armé d’une lettre de recommandation de son père. Mais il perd la lettre en chemin, et ne peut pas rentrer dans la compagnie dont il rêve. À la place, il s’y fera trois amis, à qui il donnera l’ambition et l’élan qui leur manque pour former un quatuor resté dans l’Histoire comme le symbole de la camaraderie, de la bravoure et de la valeur. Les aventures de d’Artagnan et des trois mousquetaires ont de quoi inspirer les managers ! Ils forment une équipe unie, orientée vers un but, qui s’appuie sur les qualités de chacun. La sympathie bruyante de Porthos fait contrepoids au sérieux presque sévère du discret Aramis, et la témérité de d’Artagnan est tempérée par la sagesse d’Athos.

« Débraillés, avinés, écorchés, les mousquetaires du roi, ou plutôt ceux de M. de Tréville, s’épandaient dans les cabarets […] heurtant avec volupté les gardes de M. le cardinal, quand ils les rencontraient, puis dégaînant en pleine rue, avec mille plaisanteries », ces mousquetaires auraient donné du fil à retordre à plus d’un chef d’équipe ! Mais d’Artagnan analyse avec beaucoup de finesse leurs qualités, n’ignore pas leurs défauts, et décide de les orienter vers un but. « En effet, quatre hommes comme eux, quatre hommes dévoués les uns aux autres depuis la bourse jusqu’à la vie, quatre hommes se soutenant toujours, ne reculant jamais, exécutant isolément ou ensemble les résolutions prises en commun ; quatre bras menaçant les quatre points cardinaux, ou se tournant vers un seul point, devaient inévitablement, soit souterrainement, soit au jour, soit par la mine, soit par la tranchée, soit par la ruse, soit par la force, s’ouvrir un chemin vers le but qu’ils voulaient atteindre, si bien défendu ou si éloigné qu’il fût. »

Ce n’est pas pour rien que les indépendants du groupe Leclerc, qui quittent la chaîne en 1969, se baptisent « Intermarché — Les Mousquetaires ». Les quatre inséparables illustrent toutes les valeurs qu’ils veulent porter. Ils mettent tout en commun, et cette alliance de leurs qualités et de leurs péchés, de leurs goûts et de leurs talents, parviendra à déjouer les intrigues du puissant cardinal de Richelieu.

Plus qu’un roman, Les Trois Mousquetaires se lit comme un traité de vertu, un modèle de virilité, vantant la bravoure, l’honneur, la force et la noblesse. Chaque personnage a sa médaille et son revers, mais ils forment ensemble une équipe inséparable et complémentaire.

Porthos l’hédoniste

« Non seulement il parlait beaucoup, mais il parlait haut ; peu lui importait au reste, il faut lui rendre cette justice, qu’on l’écoutât ou non : il parlait pour le plaisir de parler et pour le plaisir de s’entendre ; il parlait de toutes choses, excepté de sciences […] Vaniteux et indiscret, on voyait à travers lui comme à travers un cristal. La seule chose qui eût pu égarer l’investigateur eût été que l’on eût cru tout le bien qu’il disait de lui. »

Au bureau, Porthos serait le dévouement incarné, toujours disponible pour un déménagement et partant pour un verre entre collègues. Brave plutôt que courageux, honnête plutôt que sincère, vaniteux plutôt qu’ambitieux, il n’est peut être pas très fin, mais on peut compter sur sa loyauté. C’est le meilleur des camarades, si on a su gagner son amitié !

Souvent caricaturé dans la pensée occidentale, l’hédonisme est une doctrine matérialiste qui donne pour but à l’Homme la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance. L’hédonisme se distingue de l’épicurisme en ce qu’il recherche le plaisir pour lui-même, et non pas comme une voie vers le bonheur. Mais il ne s’agit pas que de plaisirs physiques : la sexualité et les plaisirs de la table sont recherchés au même titre que l’amitié, l’exercice du corps, la pratique de l’art ou de la science.

Porthos détesterait certainement les discours creux et les réunions sans fin, mais on serait sûrs de pouvoir compter sur lui, fidèle au poste, pendant les coups durs.

Aramis, casuiste

« Je vous en préviens, répondit Aramis, vous savez que je hais la morale, excepté quand elle est faite par Athos. […] Je serai abbé s’il me convient ; en attendant, je suis mousquetaire ; en cette qualité, je dis ce qu’il me plaît, et en ce moment il me plaît de vous dire que vous m’impatientez. »

Aramis sait jouer le courtisan, comme il sait parler franchement à Porthos. C’est une anguille, à l’aise dans toutes les situations, qui se glisse partout pour arriver à son but. Aramis évolue beaucoup au fil de l’épée et des aventures, se dévoile peu, et oscille entre deux carrières, la robe et les armes. Au XVIIe siècle, il s’inscrit dans le contexte d’une confusion entre pouvoir politique et religieux, et n’est pas un cas isolé : le cardinal de Richelieu donne un brillant exemple d’homme d’Eglise qui manie l’épée.

« Aramis, tout en ayant l’air de n’avoir aucun secret, était un garçon confit de mystères, répondant peu aux questions qu’on lui faisait sur les autres, et éludant celles que l’on faisait sur lui-même.

[…] il ne jouait jamais. C’était bien le plus mauvais mousquetaire et le plus méchant convive qui se pût voir. Il avait toujours besoin de travailler. Quelquefois, au milieu d’un dîner, quand chacun, dans l’entraînement du vin et dans la chaleur de la conversation, croyait que l’on en avait encore pour deux ou trois heures à rester à table, Aramis regardait à sa montre, se levait avec un gracieux sourire et prenait congé de la société pour aller, disait-il, consulter un casuiste avec lequel il avait rendez-vous ; d’autres fois, il retournait à son logis pour écrire une thèse, et priait ses amis de ne pas le distraire. […] C’était un homme, comme on a déjà pu s’en apercevoir, qui faisait peu de bruit et beaucoup de besogne. »

Même si son casuiste prend parfois les traits de la comtesse de Chevreuse, on ne s’étonne pas de le voir fréquenter les Jésuites, dont il deviendra général quelques années plus tard.

La casuistique est plus une méthode qu’un courant philosophique. Elle applique des règles morales ou religieuses à des cas particuliers, souvent avec une grande subtilité, en une finesse, qui n’est pas la finesse aristocratique, finesse de sentiments, de scrupules et de manières d’Athos, mais une finesse intellectuelle, qui devient ruse dans Vingt Ans Après et Le Vicomte de Bragelonne. La casuistique adopte la démarche inverse de la déontologie kantienne ou du jansénisme : elle ne cherche pas à établir d’impératifs catégoriques, mais au contraire à concilier la loi morale à la nature peccamineuse de l’Homme.

Nous ne pouvons pas faire le bien, dit Aramis en substance, mais faisons au mieux. La fin justifie les moyens, même les moins honorables ; et avouons-le, une intrigue de couloir menée avec intelligence est aussi satisfaisante qu’une affaire menée avec cœur.

Athos, stoïcien

« Ceux-ci se rappelaient l’avoir vu sourire souvent, mais jamais ils ne l’avaient entendu rire. Ses paroles étaient brèves et expressives, disant toujours ce qu’elles voulaient dire, rien de plus ; pas d’enjolivements, pas de broderies, pas d’arabesques. Sa conversation était un fait sans aucun épisode. […] Sa réserve, sa sauvagerie et son mutisme en faisaient presque un vieillard »

Athos se retire du monde et de son bruit, non pour en jouer comme Aramis, mais pour le juger. Lorsque les mousquetaires doivent trouver l’argent nécessaire à leur équipement pour le siège de la Rochelle, Porthos séduit sa procureuse et le coffre de son mari, Aramis pense revenir à la soutane avant de recevoir la visite d’un grand d’Espagne déguisé en mendiant, porteur de trois cent pistoles et d’une lettre d’amour, d’Artagnan fait la cour à Milady…et Athos refuse de sortir de chez lui, affirmant que si l’argent ne vient pas à lui, il cherchera un bon duel avec quelques gardes du cardinal, et pourra ainsi mourir au service du roi sans avoir rien dépensé pour son équipement.

Ce qui trouble les Hommes, ce ne sont pas les choses, mais les opinions qu’ils en ont. Partant de ce principe, les stoïciens recherchent l’ataraxie, un bonheur détaché des passions, faisant la distinction entre ce qui dépend de notre pouvoir, et ce qui n’en dépend pas. La morale stoïcienne passe donc par un perfectionnement de soi, une recherche de la sagesse, de la compréhension de l’ordre du monde, afin de mieux s’y conformer.

C’est le contrepoids nécessaire à la témérité de d’Artagnan, qui ne part pas avec de moins bonnes intentions, mais se laisse souvent aveugler par sa subjectivité et ses passions.

« L’air noble et distingué d’Athos, ces éclairs de grandeur qui jaillissaient de temps en temps de l’ombre où il se tenait volontairement enfermé, cette inaltérable égalité d’humeur qui en faisait le plus facile compagnon de la terre, cette gaîté forcée et mordante, cette bravoure qu’on eût appelée aveugle si elle n’eût été le résultat du plus rare sang-froid, tant de qualités attiraient plus que l’estime, plus que l’amitié de d’Artagnan, elles attiraient son admiration. »

D’Artagnan, utilitariste

Vingt ans après, « quoique devenu lieutenant de mousquetaires, d’Artagnan ne s’en trouva que plus isolé : il n’était pas d’assez haute naissance, comme Athos, pour que les grandes maisons s’ouvrissent devant lui ; il n’était pas assez vaniteux, comme Porthos, pour faire croire qu’il voyait la haute société ; il n’était pas assez gentilhomme, comme Aramis, pour se maintenir dans son élégance native, en tirant son élégance de lui-même. »

C’est la force et la faiblesse de d’Artagnan, de ne se révéler qu’avec le soutien de ses amis. Il incarne le collectif. Utilitariste, il préfère un bien qui profite à la communauté que celui qui lui apporterait un plaisir supérieur peut-être, mais dont ne bénéficierait pas Athos, Porthos et Aramis. Une action n’est en soi ni bonne ni mauvaise : tout dépend de l’utilité qu’elle apportera au groupe, quelle que soit son intention.

Cet utilitarisme est quelque part une synthèse de l’hédonisme de Porthos, dénué de calcul, du stoïcisme d’Athos, trop abstrait, et de la casuistique, trop subtile et mal généralisable d’Aramis.

Ainsi, ce qu’on retient donc des Trois Mousquetaires, ce n’est pas seulement une série d’aventures ou une galerie de vertus, mais la force du collectif, qui fera écrire à Dumas, dans Vingt Ans Après : « D’Artagnan n’avait pas manqué aux circonstances, mais les circonstances avaient manqué à d’Artagnan. Tant que ses amis l’avaient entouré, d’Artagnan était resté dans sa jeunesse et sa poésie ; c’était une de ces natures fines et ingénieuses qui s’assimilent facilement les qualités des autres. Athos lui donnait de sa grandeur, Porthos de sa verve, Aramis de son élégance. Si d’Artagnan eût continué de vivre avec ces trois hommes, il fût devenu un homme supérieur. »

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Written by Laura Sibony

Author of Fantasia | Art & Tech

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