La boîte à outils du formateur en prise de parole

Laura Sibony
6 min readApr 13, 2022
Photo de Henri Mathieu-Saint-Laurent, Pexels

On n’imagine pas un psychologue donner une solution toute faite et des règles à suivre pour mener “une bonne vie”, sans écouter le patient. De même, il n’y a pas qu’une vision du “bon discours”. Il y a des techniques, bien sûr, mais des techniques à adapter au message et au style de chacun. Et cela nécessite, tout d’abord, de l’écoute.

Une formation en prise de parole se déroule donc en trois temps :
1. libérer et encourager la prise de parole
2. écouter, et révéler ensemble le message, la raison de prendre la parole
3. corriger les défauts techniques, qui nuisent à la bonne réception ou mémorisation du message.

1. Libérer et encourager la parole

  • Présenter la formation et le formateur.
  • Energizers :
    - jouer au chef d’orchestre sur la Chevauchée des Walkyries, ou un autre morceau débordant d’énergie. Le but est à la fois de se mettre en condition, de prendre l’espace, d’abandonner la peur du regard des autres en forçant le ridicule, de rendre sensible au rythme et aux variations de la gestuelle…
    - boule d’énergie : se joue en groupe, une boule d’énergie virtuelle circule dans la classe, on peut s’amuser à mimer sa réception, son poids, sa vitesse… Pour compliquer l’exercice, chacun doit ensuite donner une lettre, et dire un nom d’animal (ou de capitale, de pays, de personnage…) qui commence par cette lettre. Et renvoyer la boule imaginaire. C’est un excellent moyen d’échauffer le “muscle de la spontanéité”, d’exercer l’esprit à passer du mode analytique (trouver un nom d’animal qui commence par une certaine lettre) au mode spontané (donner une lettre au hasard), de travailler l’écoute en groupe.
    - quizz : de toutes sortes, mais particulièrement efficaces lorsqu’ils sont très rapides, pour échauffer les neurones. De simples questions antagonistes (du type “Thé ou café ?”, “Rouge ou bleu ?”, “Bière ou vin ?”) sont un bon brise-glace, dans les groupes qui ne se connaissent pas.
    - étirements : surtout lorsque les étirements participent d’une programmation behavioriste, pour se “conditionner” à oublier la fatigue et la timidité.
    - cri primal : excellente introduction devant des classes d’adolescents. On démine tout de suite les blocages, la peur des autres et la peur du ridicule. (Le vrai est dans la simplicité !)
    - commentaire foot : avec des groupes expérimentés. On lance un match de foot, sans le son (la vidéo des Monty Python est particulièrement recommandable !), et les participants font le commentaire en direct, aussi vite que possible.
    - “vous vous souvenez du 16 juillet 2018 ?”, “quel est votre souvenir le plus heureux, revivez-le ?” et autres exercices destinés à revivre une expérience particulièrement forte et expressive.
    - exercices d’impro à partir d’images : en groupe ou seul, raconter une histoire à partir d’images sans lien logique entre elles.
    - exercices d’impro sur les prénoms : le groupe forme un cercle. Chaque personne doit s’approcher d’une autre en disant son prénom, puis en variant le ton, ou en incarnant un personnage, selon les consignes de l’animateur.
  • Quel est votre modèle en éloquence ? (parent, acteur, personnage de fiction, réel) Il ne s’agit évidemment pas d’imiter un modèle, mais de connaître son style, c’est-à-dire ce qui fait qu’on trouve une personne particulièrement charismatique ou convaincante, pour s’en inspirer.
  • Présenter la personne : avec des évocations (un plat, une plante…), avec des exercices de synthèse (trois mots, cinq mots), ou avec deux vérités un mensonge.
Photo : Igreja Dimensao, Pexels

2. Ecouter, et révéler le message

2.1. Prise de parole générale

  • Les raisons de la prise de parole. Identifier les blocages et les aspirations.
  • Donner un défi (si possible avec deadline et sanction). Il est important que le défi soit à la fois motivant et accessible. Si besoin, identifier les “quick wins” sur le chemin.
  • L’hippocampéléphantocamélos (trois minutes de discours sur n’importe quoi)
  • Exercices de synthèse, parfois de rédaction : trois mots, écriture automatique (s’il y a besoin de débloquer le message)…
  • Exercices de reformulation : si vous parliez à un enfant de cinq ans, à une grand-mère, en langue étrangère…
  • Exercices d’évocation : si votre produit/service/idée était un plat, un parfum, un personnage, un film…
  • La chaîne des pourquoi. Platon raconte l’histoire des statues de Dédale : divinement belles, si belles et si ressemblantes qu’elles pouvaient se mouvoir… et perdaient donc toute valeur, puisqu’on ne pouvait pas les retenir. Les idées, de même, peuvent être belles, elles n’ont pas de valeur si on ne peut les lier. D’où l’intérêt de travailler les articulations logiques, par des chaînes de pourquoi.

2.2. Les formats spécifiques

  • L’oral et l’écrit : différences et spécificités.
    À l’écrit, vous êtes invités. Le lecteur prend du temps pour vous lire, et vous accorde toute son attention. À l’oral, vous invitez : l’auditeur pense à autre chose, à vous de capter et maintenir son attention. L’oral doit donc être plus simple, plus percutant, plus accrocheur. Faites des phrases courtes et sobres. Mais aussi, vous incarnez le message. Vous êtes devant votre public, qui ne vous quitte pas des yeux. Or le langage non-verbal compte pour 60% de la communication (A. Mehrabian). Jouez des connivences et de l’auto-dérision. Maintenez l’attention par des changements de ton, des questions, des mises en scène, de l’interactivité.
  • Avoir réponse à tout : les plans les plus courants (chronologique, thématique, dialectique), et comment les mobiliser rapidement. L’intérêt d’en faire des réflexes, plutôt que de la théorie.
  • Titre, argument, exemple. Comment illustrer ses propos.
  • L’entretien d’embauche : lire une offre, préparer (vous / je / nous), messages-clefs, poser des questions. S’entraîner : l’entretien de l’horreur (plein de silences).
  • Le pitch (émotionnel et rationnel). S’entraîner : le post-it avec vingt cases. Exercice : pitcher une start-up célèbre à partir de son pitch deck.
  • L’interview. Préparer son message-clef, celui dont on sait qu’on ne sortira pas de la salle sans l’avoir dit. S’entraîner : la caméra.
  • Le débat : différent de la négociation. La rhétorique, et digest de L’Art d’avoir toujours raison. S’entraîner face à Public Sénat ou YouTube (mute/unmute). Exercice : discours de l’invasion de Monaco.

3. Corriger les défauts techniques

  • Attention à voir les vrais défauts, pas ceux que l’orateur pense avoir. Si besoin s’appuyer sur des enregistrements audio ou vidéo.
  • Ethos, logos, pathos. Imaginer qu’on a un ex dans la salle.
  • Si l’orateur est embrouillé : trois mots, chaîne des pourquoi ou matrice, éventuellement avec post-it.
  • S’il y a trop de modulateurs : remplacer les modulateurs par des “fucking” (ou leur équivalent “putain de”), débat contradictoire avec l’animateur ou avec un autre apprenant.
  • Si l’orateur exprime peu d’émotions : gloubi-boulga, tirade des nez.
  • Si le discours est monotone : tirade des non merci, les niveaux d’énergie (quatre émotions fondamentales, cinq niveaux).
  • Si l’orateur ne sait pas quoi faire de ses mains : mime (derrière l’autre ou côte à côte), chef d’orchestre.
  • Si l’orateur se balance, avec auto-contacts : l’ancrer dans le sol, posture Superman sur une table.
  • Si le regard fuit : regard en W, rappel régulier (in the eyes), changer de place.
  • Si l’orateur parle trop bas : le cri, faire monter la pression , parler au mur du fond.
  • Si le débit est trop rapide : je te tiens tu me tiens par la barbichette, lecture lente (et mise en pratique par le formateur).
  • Si le discours manque d’images : dessin du storyboard (en temps limité), réflexion par les bénéfices.
  • Si le discours manque de rythme : jouer au chef d’orchestre, le truc imparable pour obtenir des applaudissements.

Conclure

  • Demander un feedback à l’orateur, sur sa propre prestation.
  • Demander le jugement bienveillant des pairs.
  • Montrer l’évolution.
  • Rappeler le défi, éventuellement les exercices.
  • Encourager à pratiquer.
L’École de la Parole, Laura Sibony, Hachette (2020)

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