Des réseaux si sociaux…
Petit exercice de prospective : l’évolution des réseaux sociaux, au regard de leurs usages dans la guerre en Ukraine.
“Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.” Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, Paul Valéry constate l’ampleur de la crise militaire, s’inquiète de la crise économique, mais surtout, il dévoile les symptômes de la crise spirituelle qui secoue l’Europe moderne au début du siècle. Pour lui, la profusion de toutes les idées et de tous les modes d’existence a mené à une perte de sens, jusqu’à dénaturer le savoir et le devoir, mis au service de la destruction.
“Ce n’est pas tout. La brûlante leçon est plus complète encore.” L’internet, qui devait pour ses pionniers être le lieu de la liberté et de la gratuité, se révèle aujourd’hui être une arme à double tranchant. Plus difficile à censurer qu’un média national, il est aussi un moyen de diffuser beaucoup plus largement et efficacement les propagandes. Et à l’heure où l’intelligence artificielle adapte le contenu que nous voyons à nos préférences, jusqu’à nous faire vivre dans des “bulles informationnelles”, il devient un danger pour la liberté de penser.
La guerre en Ukraine se déclenche à un moment particulièrement critique pour les réseaux sociaux, qui peinent depuis plusieurs années à lutter contre les fake news, ces fausses nouvelles qui se répandent comme des traînées de poudre, parce qu’elles sont plus choquantes, donc plus mobilisatrices, que les vérités. Difficiles à contredire aussi : il faut en moyenne six fois plus de temps pour prouver qu’une chose est fausse que pour la transmettre.
Deux tiers de la population française s’informe majoritairement par les réseaux sociaux (baromètre Kantar Public OnePoint 2021), qui incluent les messageries instantanées du type Messenger ou Whatsapp, les plateformes de partage de contenu comme Facebook, VK en Russie, Instagram, TikTok, mais aussi les sites de partage collaboratif, à l’instar de Wikipédia ou des forums de certains médias en ligne.
Le prospectiviste ne juge pas et ne prédit pas : il reste à l’écoute des signaux faibles, pour mieux comprendre notre rapport aux réseaux sociaux, comment leurs usages changent la guerre, et comment la guerre change leurs usages...
Les réseaux sociaux ne sont ni perçus, ni utilisés de la même manière en Occident et en Russie, dans le monde militaire et dans la société civile. Sont-ils des outils, des armes offensives, défensives, de simples canaux de communication ? Quels nouveaux codes émergent au bruit des bombes, et ont-ils vocation à perdurer ?
La guerre de l’information, la force côté obscur
- L’information dérégulée
Jusqu’à la démocratisation de l’internet, savoir signifiait pouvoir. Nous vivions dans un monde où l’information, rare, était précieuse. César avait déjà inventé ses clefs de cryptage, pour protéger une information qui pouvait décider l’issue des batailles.
Aujourd’hui, cette information nous envahit. Il suffit d’un clic pour obtenir les données les plus diverses, sur tous les sujets. Google indexe cent trente mille milliards de pages, et en ajoute chaque jour de nouvelles. Nous vivons dans un monde “infobèse” : au milieu d’une information si abondante, nous ne savons plus faire le tri. C’est pour cela que les systèmes de navigation et de recherche, ainsi que les réseaux sociaux, ont recours à des algorithmes, de plus en plus personnalisés, pour trouver la réponse à toutes les questions… avant même qu’elles ne soient posées !
L’intelligence artificielle est un modèle informatique qui détermine les “patterns”, les motifs qui se répètent, et peut donc les prédire. Autrement dit, une IA sait mieux que vous ce que vous aimez, puisqu’elle connaît les motifs qui se répètent dans vos choix, sur une quantité de données bien supérieure à celle que votre mémoire peut gérer. Les réseaux sociaux ont tout intérêt à maximiser votre temps sur leur plateforme, et donc à vous proposer un contenu qui vous intéressera : la plupart d’entre eux utilisent des intelligences artificielles pour déterminer les préférences utilisateur, et adapter le fil d’actualité.
C’est ainsi que sur un internet uniquement régulé par le marché, on peut se trouver enfermé dans une “bulle informationnelle”, c’est-à-dire toujours confronté à une information qui va dans le sens de nos opinions. C’est la logique même des GAFA : leurs produits captent vos données personnelles, pour adapter le contenu et captiver votre attention, afin de la vendre à des annonceurs publicitaires.
Sans régulation, l’effet bulle, dit aussi “effet chambre d’écho”, peut déjà mener à la radicalisation d’une opinion qui ne s’écoute plus qu’elle-même.
2. L’impossible censure
Sur les réseaux sociaux : guerre impossible, paix improbable ? Si la mise à disposition impartiale et complète de l’information est impossible, à cause des biais de la curation de contenu, la censure est quant à elle inefficace.
De nombreux médias occidentaux, comme le New York Times ou la BBC, sont accessibles sur les dark webs : n’importe qui peut les consulter depuis un navigateur comme le TOR browser, en tout anonymat. À l’origine créé par l’US Navy, le réseau TOR (The Onion Router) est aujourd’hui indépendant, utilisé aussi bien par les lanceurs d’alerte que par les pédocriminels, vendeurs d’armes ou de drogues. Les opposantes russes Pussy Riots y avaient par exemple eu recours pour tenter d’échapper aux poursuites du FSB.
Depuis le début de la guerre, le nombre d’utilisateurs de VPN, une technologie qui permet de se connecter à des serveurs distants, et donc de contourner les censures nationales, a été multiplié par quatre. Et on constate une hausse de 4000% des téléchargements de Wikipédia en Russie, par crainte d’un blocage.
Le gouvernement russe peut donc fortement limiter, mais pas entièrement bloquer l’accès libre à l’information en ligne.
Un article très détaillé de Foreign Policy sur la censure des médias dans l’internet domestique russe : https://foreignpolicy.com/2022/03/15/russia-ukraine-war-facebook-meta-twitter-youtube-block-censorship/
3. La stratégie de l’obfuscation
Il n’y aura donc pas de rideau de fer numérique. Mais lorsqu’on ne peut pas empêcher la diffusion de l’information, il faut la capter à sa source — la Douma a voté début mars une loi qui menace de prison quiconque publierait des “informations mensongères” sur l’armée russe, ou appellerait à des sanctions contre la Russie — ou la brouiller à sa réception.
Cette stratégie, dite de l’obfuscation, consiste à noyer une information sous les fake news, les bots pro-Poutine, et les théories du complot, qui génèrent plus d’attention, et ont une plus grande viralité.
Les médias d’État russes RT (Russia Today) et Sputnik s’en sont fait une spécialité, si bien qu’ils ont été qualifiés de “désinformation toxique et nuisible” par la Commission Européenne, qui a décidé de stopper leur diffusion.
Il est intéressant de remarquer qu’il y a en russe deux mots pour parler de la vérité : Правда (pravda), la vérité objectif et factuelle ; et Истина (istina), la vérité du coeur, au sens plus religieux — l’un des mots les plus utilisés dans l’oeuvre de Dostoïevski. Les mots structurent la pensée ; les différences linguistiques et culturelles créent des nuances dans la manière de concevoir et de gérer la communication. Ces différences sont particulièrement visibles sur les réseaux sociaux, où la manière de communiquer devient marqueur d’appartenance et de communauté. Les memes, marqueurs de la “génération Y”, aujourd’hui appropriés par les “boomers”, en sont un autre exemple : au-delà du contenu, le code dans lequel s’inscrit la communication reflète l’identité de l’auteur, et le paradigme qui structure sa vision du monde.
La guerre de la communication, objectif conquête des cœurs
Le surprenant, c’est que si peu de choses changent. La Russie a adopté, comme en toute guerre, une stratégie défensive et une stratégie offensive. Elle se défend en bloquant l’information de l’ennemi, du dehors et du dedans ; elle attaque, en noyant les réseaux occidentaux sous un flot de messages pro-Poutine ou de fake news. Mais le champ de bataille médiatique se conquiert-il par la force ?
- Propagande contre propagande
On a souvent parlé des médias contre quatrième pouvoir, qui contre-balance et sert de garde-fou aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Mais qu’en est-il alors des réseaux sociaux, contre-pouvoir au contre-pouvoir, limites à la fois au pouvoir politique et au pouvoir médiatique ? Il n’y a pas de réponses, que des contradictions : c’est un pouvoir à la fois extrêmement populaire, puisque tout le monde peut y avoir accès, et sans aucune souveraineté ; très transparent, puisque tout le monde peut s’exprimer, et très opaque, puisque les algorithmes et filtres sont en général tenus secrets ; très puissant, et pourtant virtuel.
Il n’était déjà pas facile de définir ce qui distingue la propagande de la publicité ou de la communication, hormis peut-être les intentions de l’auteur. Les réseaux sociaux rendent cette séparation plus confuse encore, puisque le même message peut être repris et partagé par différents acteurs.
Parmi les faits d’armes qui ont marqué cette guerre de la communication, la vidéo de deux réalisateurs français, relayée par le Parlement ukrainien, fait polémique : elle simule un violent bombardement aérien de Paris, montre la tour Eiffel en flammes, le palais Garnier effondré, et se conclut sur un appel clair, “Imaginez juste si cela arrivait dans une autre capitale européenne. Fermez le ciel au-dessus de l’Ukraine ou donnez-nous des forces aériennes.”
Le fait est représentatif du fonctionnement des réseaux sociaux. Son réalisateur, Olias Barco, affirme : “c’est un film d’anticipation, pas un film de propagande.” Il a pourtant déjà reçu de nombreuses insultes et menaces, publiques — la rançon de la viralité.
Mais s’il s’agit en l’occurrence d’une initiative privée, ensuite relayée par des députés ukrainiens, les gouvernements n’hésitent pas non plus à jouer du pathos, et des codes des réseaux sociaux. La Maison Blanche a ainsi reçu une trentaine d’influenceurs TikTok, le 15 mars, pour un brief officiel sur les objectifs stratégiques des Etats-Unis en Ukraine. Son but avoué : lutter contre la désinformation des jeunes, sur un réseau qui compte environ 800 millions d’utilisateurs actifs dans le monde.
Les réseaux sociaux sont le lieu où se retrouvent, et se mesurent, initiatives individuelles, communication gouvernementale, et le pouvoir des GAFA — ni incarné, ni public. Ainsi, TikTok a décidé de suspendre l’accès à sa plateforme depuis la Russie, à compter du 6 mars. Le 10 mars, Meta (qui possède Facebook et Instagram) a annoncé assouplir ses règles de modération, pour favoriser les messages hostiles à Poutine. Dix jours plus tard, le groupe était banni de Russie par un jugement de la Douma, pour “extrémisme” et “incitation à la haine et à l’inimitié”.
2. L’ère de la post-vérité, quand on ne peut plus en croire ses yeux
À l’origine, le terme aux sonorités orwelliennes de “post-vérité” décrivait un monde où l’émotion l’emportait sur les faits et l’analyse, dans le discours politique. Mais certains pays en ont fait un modèle de communication, où la parole et l’image politiques, susceptibles de modifications ou de détournement, ne sont plus fiables. Pour The Economist, “la Russie est sans doute le pays qui est allé le plus loin dans la post-vérité, tant en politique étrangère qu’en politique intérieure”.
Les techniques récentes d’apprentissage machine facilitent grandement cette décrédibilisation de la parole politique. Dès 2018, Bloomberg alarmait sur les dangers politiques des deepfakes, avec de célèbres détournements de vidéos d’Obama et de Poutine.
Le 16 mars, certains médias ukrainiens (Segodnya, Ukraine 24, et quelques comptes facebook et Twitter) ont été piratés, montrant un discours de capitulation de Volodymyr Zelensky. L’information a évidemment tout de suite été démentie par l’intéressé, qui se moque de la piètre qualité de la vidéo. Le soir même, on trouvait en ligne d’autres deepfakes de Poutine appelant à la paix.
Les deepfakes ne visent, pour la plupart, pas à être crus, mais plutôt à semer la confusion. Il s’agit moins de désinformation que de “terrorisme de la communication”, qui met en doute toute vérité officielle, et jusqu’au principe même de “source officielle”. Le danger est d’autant plus grand que plus la guerre continue, plus les hackers disposeront de données pour entraîner leurs modèles et améliorer leurs vidéos.
3. La guerre de la mobilisation
Le temps des réseaux sociaux n’est pas celui de l’action. Emouvoir n’est pas encore mouvoir. Des vidéos de trois secondes à une minute, des tweets en 280 caractères, des images qu’on scrolle ont-elles un réel impact, sur la durée ?
Dans la sphère virtuelle, il n’y a ni vainqueur ni perdant, puisque chacun choisit son public, ou, de plus en plus, est choisi par son public. La guerre numérique se juge à son impact sur le réel. L’exemple de Trump était à cet égard très parlant : ses tweets racistes ou incitant à la haine étaient régulièrement mis en lumière par des médias qui les critiquaient ou s’en moquaient… ils ont tout de même mené à l’assaut du Capitole, et à une durable polarisation de la société américaine.
Tout l’enjeu est donc de savoir quelle guerre se joue : celle des esprits, celle des coeurs, celle des actes ? La crise, soulignait Paul Valéry, a de multiples visages : la crise militaire n’est jamais loin de la crise économique et spirituelle. Les réseaux sociaux ne sont qu’une caisse de résonance à nos angoisses. Ils nous demandent de choisir notre champ de bataille : que voulons-nous protéger, qu’est-ce qui fait notre civilisation ? L’esprit critique et cartésien, indissociable de la liberté de penser ? L’empathie, la capacité à s’émouvoir et à réagir ? Ou les actes, la mobilisation réelle face aux faits et aux images, diffusés à large échelle, amplifiés et commentés par le contre-pouvoir citoyen et militant ?
Une si nécessaire éducation aux médias…
- Cure de désintox
Lorsque j’étais au collège, l’éducation aux médias consistait à nous interdire Wikipédia comme référence des dissertations. Aujourd’hui, face aux algorithmes de targeting, aux fake news, et aux nouveaux usages des réseaux sociaux, cela ne suffit plus.
Il reste bien sûr nécessaire d’informer sur les sources et sur les faits, de la façon la plus transparente possible. Les initiatives se multiplient, pour un accès plus sûr à l’information : les Décodeurs du Monde font un remarquable travail d’information sur les polémiques d’actualité, l’AFP Factuel vient de lancer son service Whatsapp de vérification des informations douteuses vues en ligne, l’AFP et Google France luttent contre la désinformation autour de la présidentielle 2022 avec leur programme Objectif Désinfox. Attention, évidemment, à la source de la vérification.
Seulement, l’AFP, les Décodeurs, le News Lab de Google… ne fournissent que des outils pour lutter contre la désinformation. En amont, il y a d’abord une nécessaire éducation aux médias. Et il s’agit bien d’éducation, et non de formation ou d’instruction : l’esprit critique, libre de peser et de juger, se développe, mais ne s’impose pas. En France, le CLEMI (Centre pour l’Education aux Médias et à l’Information) s’adresse aux enfants dès l’école primaire, et propose des exercices pour apprendre à repérer le complotisme ou les discours pseudo-scientifiques sur YouTube.
Vidéo du CLEMI pour enseigner comment repérer les sources dans les JT : https://youtu.be/5Dm-7YsmtC4
Les ateliers de débat sont aussi un moyen ludique de repérer les principaux topiques rhétoriques, tout en apprenant à exprimer ses idées de façon constructive. Contrairement à un préjugé tenace, apprendre le débat apaisé ne consiste pas à chercher des compromis (le débat n’est pas la négociation !), mais à exposer ses idées avec clarté et respect, pour convaincre le public, plutôt que son ou ses contradicteur(s). C’est comme un vaccin : on s’immunise contre la rhétorique facile, on apprend à mieux déceler et répondre aux arguments fallacieux, en s’y confrontant… et en apprenant à les maîtriser. A cet égard, L’Art d’avoir toujours raison, de Schopenhauer, fait toujours référence, presque deux siècles après sa publication.
2. Lâche cet écran ! : la publication responsable
Knowledge is still power, et ce pouvoir n’est pas toujours entre les bonnes mains. On connaît tous quelqu’un qui a prétendu être malade alors qu’il poste des photos à la plage sur Instagram, qui a fait manquer un anniversaire surprise à cause de messages publics sur Facebook, ou qui a choqué ses parents en se trompant de destinataire sur Whatsapp. La publication est si facile, qu’on oublie parfois de vérifier ce qu’on poste, ou qui y a accès.
Dans le domaine militaire, où circulent des informations confidentielles, et où les soldats ne se sentent pas toujours représentants de l’institution, ce problème est particulièrement délicat. Alors que la séparation entre vie privée et vie publique se brouille, il ne semble pas prêt de disparaître.
La Grande Muette s’exprime de plus en plus sur les réseaux sociaux. Ses porte-parole et community managers publient sur les pages officielles selon une ligne éditoriale bien déterminée. Mais dans les réponses aux commentaires, il n’est pas toujours facile de garder un ton adéquat, à l’équilibre entre réserve et ouverture.
Les réseaux sociaux constituent donc tout à la fois un danger, un défouloir, un outil de communication allant parfois jusqu’à imiter le rôle d’un syndicat (interdit dans l’armée). Des pages satiriques, comme Mike Echo jouent un rôle ambigu, mal encadré, mais indispensable pour faire le lien entre monde militaire et monde civil, entre vie privée et vie professionnelle des soldats.
L’exemple, désormais célèbre, des comptes Tinder de soldats russes en Ukraine prouve à nouveau cette érosion de la distinction entre vie privée et vie professionnelle. Chez les militaires de métier, formés aux dangers du numérique, la vie privée peut parfois s’inviter sur des réseaux professionnels, mais l’inverse est rare, et passible de sanctions. Chez des conscrits ou à l’arrière, la distinction n’est déjà presque plus visible. On a vu des comptes d’influenceuses Instagram ukrainiennes passer du contenu beauté aux vidéos de la guerre en direct.
Le vieil adage le dit bien : “Si tout est politique, rien ne l’est”. Indéniablement, sur les réseaux sociaux en temps de guerre, tout est politique.
3. Vers une éthique des réseaux sociaux ?
Bien sûr, il y a la morale, qui dit ce qui est bien et mal. Mentir est mal. L’amitié est importante. Puis il y a l’éthique qui demande : “et si un ami vous demande de mentir ?”
Il y a la morale des réseaux sociaux, les grandes règles : faire attention à ce qu’on publie, sourcer l’information, fact-checker. Puis il y a l’éthique : doit-on interdire à un militaire de poster des images en temps de guerre, s’il cherche à informer l’opinion mondiale ? Peut-on lutter contre la désinformation avec ses propres armes ?
Le constat est clair : la régulation complète des réseaux sociaux est impossible, autant que leur dérégulation. Ils restent politiques. Le mieux qui puisse être fait, en la matière, est une charte, un encadrement des bonnes ou mauvaises pratiques, au pouvoir de sanction très faible. Et surtout une information plus large, appuyée sur une politique de transparence, pour responsabiliser les citoyens : informer sur le fonctionnement des algorithmes, sur les filtres, sur les procédés de la censure et de l’obfuscation, sur la manière dont se répandent les fake news, et les moyens de les fact-checker.
Le défi qui se pose aujourd’hui est en somme une réinvention de la démocratie, pour intégrer ce nouveau pouvoir ambigu. La balance traditionnelle des pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, héritée de Montesquieu, avait déjà été secouée par la montée en puissance du pouvoir médiatique. Aujourd’hui, il est lui-même remis en cause par des réseaux qui se veulent représentants de la vox populi, sans pour autant donner une représentation équitable, ou une voix égale, à l’ensemble du peuple.