Baguette-bretzel : pour faire dialoguer les formations, faites dialoguer les formateurs ! 🥨🥖
Émeutes, incivilités, explosion du temps d’écran… Il y a un moyen formidable de mettre tout le monde d’accord. Dites : il faut repenser l’éducation. Développer l’esprit critique. Ouvrir de nouveaux horizons aux jeunes. Là -dessus, tout le monde approuvera.
Maintenant, comment faire ? Je suis allée chercher un peu d’inspiration outre-Rhin. L’OFAJ, Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, fête cette année ses soixante ans.
Qu’est-ce que l’OFAJ ?
Créé en 1963 par le Traité de l’Élysée, l’OFAJ a pour but de faire se rencontrer les jeunes Français et les jeunes Allemands. Il permet chaque année à dix millions de jeunes de découvrir la langue, la culture et les habitants du pays voisin. L’OFAJ finance ainsi des podcasts (comme C’est quand la révolution ?), un échange de critiques théâtrales, un voyage à la Gamescon, des échanges collectifs et individuels, des partenariats entre établissements, des stages, des volontariats, des formations pour animateurs inter-culturels… N’hésitez pas à proposer votre projet de coopération franco-allemande !
Alors il est vrai qu’entre Institut Français, Goethe Institut, Centre Français de Berlin, OFAJ, jumelages, on se perd dans tous les programmes mis en place pour favoriser la coopération franco-allemande. Je ne sais toujours pas précisément qui propose quoi. À l’origine, je cherchais une Sommerschule, comme celle que j’avais pu faire à Mannheim en 2014, et dont je gardais un excellent souvenir (j’y ai découvert la Schwarzwaldertorteeis, qui, comme son charmant nom l’indique, est une glace à la Forêt-Noire, je ne vous dis que ça !)
Alors quand j’ai vu, sur la page Facebook du Centre Français de Berlin, un post au sujet des cours de langues selon l’approche tandem, j’ai tout de suite écrit à mon professeur d’allemand, et avec sa bénédiction j’ai postulé.
Zoom sur les cours Pro-Tandem
Organisés chaque année à Berlin et à Hyères, les cours Pro-Tandem permettent à des enseignants et formateurs des deux pays de se rencontrer, d’échanger sur leurs pratiques et d’apprendre la langue de l’autre. Ces cours se déroulent par sessions d’une semaine, en groupe de vingt (dix Français et dix Allemands), et sont encadrés par deux animateurs bilingues. Les échanges de langues sont rythmés par des activités : soirée spécialités, chasse au trésor, visite de la ville d’accueil, et soirée d’adieux.
Cette année, il y avait beaucoup d’habitués, déjà convaincus par le format. Instituteur de maternelle, formatrice en hygiène alimentaire, enseignante d’allemand, formateur en management, enseignant en électrotechnique, formateur dans la restauration, professeure de français et de sport… Il y avait de toutes les disciplines et de tous les niveaux d’enseignement. Des parfaits débutants aux bilingues confirmés, tout le monde était bienvenu.
J’ai rejoint le groupe avec trois objectifs : m’améliorer en allemand, rencontrer d’autres formateurs, découvrir les cultures germaniques et l’enseignement outre-Rhin.
La langue. Wie sagst du… enfin… tu vois ?
En quoi consiste “l’approche tandem” ? Il s’agit simplement de faire des activités à deux, un Français et un Allemand : discuter des jours fériés, commander au restaurant, prendre un rendez-vous, lister les spécialités régionales, se décrire en chiffres, raconter ce qu’on faisait le jour de la chute du Mur (je suis née cinq ans après, mais j’ai de l’imagination). Pas de grammaire, pas de conjugaison, pas de cours magistral ! Juste des discussions, qui dépassaient souvent largement le sujet de l’activité. On se corrige l’un l’autre, ce qui permet aussi de savoir ce qui se dit habituellement — et le Berlinois regorge de ces expressions intraduisibles, qu’on ne trouve pas dans les livres de classe. On en apprend aussi sur sa propre langue : allez expliquer à un Allemand l’intérêt du “du coup” dans une phrase, ou la subtile différence entre un “c’est çaaa” et un “c’est ça !”
Avec cette méthode, l’allemand est beaucoup plus facile ! Vous ne saurez peut-être pas lire Schopenhauer dans le texte tout de suite, mais vous prendrez vite suffisamment confiance pour commander un Schorle ou entamer une discussion. La méthodes’adapte à tous les niveaux : les débutants lisent les feuilles d’activité pour découvrir le vocabulaire, et les plus avancés peuvent se lancer dans des débats ou des confidences.
Autre avantage : on apprend l’allemand parlé, avec l’accent, les expressions, les habitudes, et en contexte ! C’est très bien de traduire Leitungwasser par eau du robinet, c’est encore mieux de savoir qu’on vous regardera bizarrement si vous en demandez : les restaurants ne proposent pas de carafe et servent surtout de l’eau gazeuse (et de la bière, natürlich).
L’approche tandem permet de poser toutes les questions plus facilement qu’en classe, et de se tromper sans pression ni mauvaise note. Non, un éclair au chocolat ne se dit pas Schokoladenblitz — il vaut mieux faire la faute avec son partenaire de tandem que dans une pâtisserie berlinoise.
Les rencontres. Deutschlandticket, l’Allemagne en petites lignes.
Contrairement au cliché, l’Allemagne est très, très diverse ! Cette année, le gouvernement a pris une remarquable mesure écologique : il finance le Deutschlandticket, un billet à 49€ qui permet de prendre tous les trains régionaux et transports en commun du pays. J’ai saisi l’occasion pour partir de Kehl, à la frontière française, et traverser l’Allemagne d’Ouest en Est jusqu’à Berlin. Il m’aura fallu quatre jours, et une bonne dizaine de changements de trains. Sur le chemin, j’ai visité Baden-Baden, Karlsruhe, Würtzburg, Erfurt, Weimar, Leipzig… Chaque ville a son identité, ses spécialités et ses Sehenswürdigkeiten (un bel exemple de la logique allemande : le mot signifie littéralement choses-qu’il-faudrait-avoir-vues). Je n’en ferai pas ici un compte-rendu détaillé, parce que je projette d’en faire un roman comique, il y a tant à dire ! Mais vous pouvez en avoir un aperçu sur mon Instagram.
Les enseignants allemands venaient de Dortmund, Köln, Hamburg, Brunswick, Magdeburg… Autant de villes que je ne connaissais pas et qui, étant plus autonomes que les villes de province françaises, ont pu mieux affirmer leurs spécificités. Cela va plus loin que les spécialités culinaires (pour le coup assez ressemblantes dans toute l’Allemagne) : les modes d’enseignement et les diplômes changent aussi, d’un Bundesland à l’autre. C’est un casse-tête, pour certains enseignants, de trouver un homologue en France : un jeune Allemand qui souhaite devenir cuisinier s’orientera dès quinze ans vers une école spécialisée, où il fera une Ausbildung (un apprentissage en immersion), alors qu’un Français pourra soit s’orienter vers une filière pro, soit passer son bac général et intégrer une école comme Vatel, Ferrandi ou Bocuse, après ses dix-huits ans.
Ces rencontres étaient aussi l’occasion de comparer l’enseignement en France et en Allemagne. Un point commun : les profs se plaignent. Il semblerait que ce soit à raison : des deux côtés du Rhin, on s’inquiète de la place que prennent les écoles privées et les éducations alternatives, du manque de moyen, des difficultés de recrutement. Ce qui m’a marquée, c’est que les Allemands gardent une vision très optimiste de l’avenir, alors qu’ils voient la France comme “bergab”, sur le déclin. Bien sûr, quand on s’arrête au feu rouge et qu’on n’a pas de barrière aux portes des écoles, on ne peut entendre parler qu’avec terreur d’émeutes et de bibliothèques brûlées. Mais après une semaine à Berlin, je les rejoins. Alors que j’étais dans le train direction Weimar, j’ai reçu un appel du directeur de mon ancien lycée : l’État ayant annulé l’envoi promis de stagiaires, il me demandait si je serais disponible pour assurer des cours de Lettres. Un samedi matin, en juillet, alors que je n’ai ni CAPES ni agrégation : je suis enseignante dans le supérieur, et formatrice en soft skills. Je suis ravie de cette opportunité d’enseigner les Lettres dans un lycée auquel je dois tout… mais je m’inquiète pour un système qui repose autant sur l’improvisation.
Les cultures. Prost et Ă la tienne!
On critique, on critique… Nous avons surtout passé beaucoup de temps à échanger sur les spécialités locales : j’y ai découvert l’origine des sablés, la véritable manière de manger un broyé du Poitou, ou l’origine du nom Baumkuchen (eh non, ce n’est pas à cause de sa forme d’arbre !)
La chasse au trésor était très bien pensée ! Elle me laissera des photos du groupe chevauchant un hippopotame, dans une cour de l’Orianenburgstraße, à l’ombre de la Fernsehturm. Nous n’avions pas à demander notre chemin à des passants, et heureusement : les Berlinois ne s’illustrent pas par leur patience, et comme ils parlent pour la plupart un anglais impeccable, ce n’est pas avec eux que nous nous serions améliorés en allemand !
Seulement, on a beau parler de Stollenkuchen et de fromages de Munster, d’amitié franco-allemande et de découverte culturelle, une semaine d’allemand ne serait pas complète sans une petite immersion dans la Seconde Guerre Mondiale et le Mur de Berlin. Nous avons naturellement fait une visite sur les traces du Mur, de Checkpoint Charly jusqu’à l’Holocaust-Mahnmal.
Dans cette ville des contrastes, cela s’est conclu par une soirée au Biergarten, puis par un karaoké mêlant 99 Luftballons et Aznavour, parce qu’à chacun ses amis, ses amours et ses emmerdes.
Mais si vous voulez une découverte culturelle complète, restez quelques jours de plus : la plupart des musées berlinois ferment à 18h, et comme les cours finissent à 16h, cela vous laisse peu de temps.
Kurzum
Objectifs atteints et dépassés ! Après une semaine de cours Pro-Tandem et quelques jours en plus pour découvrir l’Allemagne, je repars avec plein d’inspiration, et l’envie de revenir dès que possible. Plutôt que de laisser l’Éducation Nationale sombrer comme un broyé du Poitou dans un Apfelschorle, les solutions existent : l’OFAJ finance des échanges scolaires, des partenariats pour les apprentis, des projets binationaux. La langue n’est pas un obstacle, et de toute façon rien ne vaut l’apprentissage en immersion, sans grammaire ni jugement, pour se mettre le pied à l’étrier. Et les rencontres ne s’arrêteront pas là , à en croire le nombre de notifications sur le groupe WhatsApp !